Reconsidérer la place et la parole des managers de proximité
- Par jeromegrolleau
- Le 2020-07-07
Chroniques territoriales Ndw 17 Le "terrain" est le lieu où la stratégie se réalise et où les politiques publiques prennent corps. C'est en ce point que les transformations s'accompagnent et les actions s'ajustent. C'est au sein des espaces du quotidien que la confiance des agents se construit et que les pratiques se façonnent. Les encadrants de proximité, en première ligne, ont donc une haute valeur stratégique. Celle-ci s'est pleinement manifestée à l'occasion de la gestion de la crise du Covid : sans expertise et savoir faire "terrain", toute stratégie prend le risque d'échouer sur le réel.
Cette valeur s'accompagne d'une grande fragilité. Souvent issus du rang et amenés à gérer d'anciens collègues, ils ont à opérer "sur place" un repositionnement sans commune mesure avec la prise de poste d'un cadre en mobilité. Fortement exposés au réel et à toute son épaisseur, ils ont à faire face aux stratégies qui achoppent ou se contredisent, aux dysfonctionnements comme aux imprévus qui surgissent au quotidien.
Cette place stratégique et cette fragilité sont souvent reconnues. De nombreuses formations sont d'ailleurs mobilisées leur permettant d'être plus à l'aise dans leur travail et de se positionner. Mais pour autant, centrées sur l'acteur individuel, elles ne sont pas en mesure de dénouer le paradoxe systémique dans lequel ils sont pris.
En effet, si l'importance de leur place est, dans le discours, prise en compte, elle se trouve souvent déniée dans les faits. De manière symptomatique, leur appartenance à la communauté managériale est proclamée, alors même que la grande majorité des séminaires managériaux se déroulent encore en leur absence. Plus profondément, le pouvoir dont il dispose n'est aucunement à la hauteur de la valeur qui leur est accordée. Le contraste entre les multiples prescriptions venues d'en haut et la faiblesse de leur pouvoir de les influer est saisissant. Leur voix ne porte pas, ne produit pas ou peu d'effet.
Les conséquences de ce noeud paradoxal se manifestent entre autres autour de la question de l'autorité. Du côté des managers de proximité, la situation d'entre-deux devient, en situation paradoxale, un exercice de haut vol. Comment faire autorité quand vous ne disposez que d'un très faible pouvoir d'influer sur ce qui impacte au plus haut point l'activité et les agents dont vous avez la charge ? Si ce n'est en prenant appui sur votre savoir faire technique et la relation personnelle aux agents, tout en dénigrant parfois ceux "d'en haut". Du côté de la ligne hiérarchique, c'est, en miroir, le constat fréquent d'un encadrement de proximité se positionnant avant tout comme expert technique et manageant de manière "trop" empathique ou "trop" autoritaire.
Les acteurs sont jugés, les représentations des uns et des autres, figées, sans interroger le système dont elles résultent. Cet impensé freine la nécessaire évolution de la place effective des managers de proximité.
Pour dénouer le paradoxe, il est souhaitable d'engager une reconfiguration des relations et des rapports de pouvoir afin de créer les conditions dans lesquelles l'encadrement de proximité acquiert une voix plus forte, une voix qui porte. Le travail mené en coproduction avec diverses collectivités* nous ont permis d'identifier les points clefs d'un processus axé sur les collectifs de travail.
1. Permettre aux encadrants de proximité de construire une représentation partagée et formalisée de ce qu'ils vivent, de leur rôle, de ce qu'ils font, de leur place dans le système, des difficultés qu'ils rencontrent comme de leurs sources de satisfactions. Pour se construire en sujet (versus un "jouet" du système) il faut d'abord se représenter à partir d'un partage d'expériences.
2. Leur faire élaborer les évolutions possibles et souhaitables de leur rôle, de leur action et des conditions organisationnelles (RH, management, processus de décision, etc) qui les favoriseraient. Se construire en sujet collectif, c'est porter un projet, prendre en charge collectivement le devenir de son métier.
3. Partager ce travail sur son rôle et son devenir auprès avec tout l'encadrement. Cette prise de parole publique et collective est un élément clef de la constitution de soi comme acteur qui compte et entend compter. Voilà ce que nous vivons, voilà ce que nous proposons !
4. Passer du collectif des encadrants de proximité aux collectifs managériaux par activités (encadrants de proximité, chefs de services, directeurs, voire DGA d'une même activité) et les faire travailler, sur la base des propositions des encadrants de proximité, à un projet managérial à court terme, co-construit et sur lequel le collectif s'engage. Il s'agit alors d'inscrire dans les faits et les décisions, le poids de la parole des managers de proximité.
* Merci aux villes de Saint-Nazaire, Bagneux et Saint-Jean-de-Monts à l'initiative de dispostifs d'accompagnement conséquents. Merci également aux villes de Challans, Millau et à Vichy-communauté pour leur action.