Vertige contemporain
- Par jeromegrolleau
- Le 2016-03-17
Ndw04 " Le vertige est une inversion et une contamination du Proche et du Lointain. Pour l'homme qu'il saisit au milieu de la paroi, l'amont, côté protecteur et proche, se redresse jusqu'à devenir surplombant (...) ; tandis que l'aval, là-bas, se creuse dans un lointain qui commence sous ses pas (...). Il n'y a plus de là." Henri Maldiney (philosophe, 1912-2013)
1. Ce mouvement de bascule entre le proche et le lointain éclaire une caractéristique forte de l'expérience contemporaine de la globalisation. La mise en interdépendance généralisée de tous les points du monde brouille non seulement les frontières entre états, mais plus communément celle que chacun pose entre un là et un là-bas. La globalisation ne relève pas seulement du macro. Elle produit des effets au coeur du micro et de nos vies quotidiennes dont elle change la texture.
2. Le vertige contemporain ne se réduit donc pas au tourbillon de flux d'informations, d'innovations, d'événements, qui nous fait "tourner la tête". Au delà de la sensation visuelle d'un environnement tumultueux, il est plus profondément une sensation kinesthésique (interne au corps), étrange ; l'appui vacille, le sol se dérobe.
Cette sourde sensation traverse le social : imprévisibilité d'un licenciement, angoisse de chute sociale, conflit lointain qui vient exploser ici, menace écologique qui du virus au radio-actif courre sur les flux, réorganisation subite, délocalisation qui du jour au lendemain fait disparaître de manière imprévisible un emploi et le font resurgir à des milliers de kilomètres, etc.
3. Que fait celui qui brutalement a le sentiment que le sol se dérobe. Il se met à quatre pattes, renforce ses appuis, consolide son assise, reconstruit un là pour se remettre debout et agir.
N'est-ce pas ce qui se manifeste dans l'engouement pour le développement personnel (retrouver ses appuis internes - confiance en soi, estime de soi...), dans l'inscription forcenée dans du local, dans le renforcement des relations de proximité et la constitution effrénée d'un réseau qui, comme un filet, tend sa toile et vous arrime au monde ?
4. Ce double mouvement de délocalisation par les flux et de relocalisation dans des lieux que chacun s'aménage amène donc à repenser ce qui est généralement interprété comme un "repli sur soi protecteur". Ce qui apparait comme repli n'est que le renforcement du camp de base : celui à partir duquel chacun prend appui et avance. Ce qui semble une régression sociale est aussi une dynamique adaptative de renouvellement des pratiques sociales.
Dynamique sociale Vertige Confiance