Confinement 1, 2, ... : analyses et pistes.

 

NDW 20 Chroniques territoriales. Lassitude, agacement, usure,..., ces termes récurrents utilisés pour rendre compte du vécu de la situation actuelle sont justes. Pour autant, en mettant en avant la continuité d'un temps qui dure et qui use, ils tendent à masquer des ruptures sous-jacentes déterminantes de l'expérience sociale. Et notamment celles qui, distinguant catégoriquement le confinement 1 de ses suites, rendent compte de la bascule d'une surpression mobilisatrice à une tendance dépressive de plus en plus massive.

1. De l'exceptionnel à l'ordinaire. En se répétant, le confinement perd son statut d'exceptionnalité et fait son entrée dans l'ordinaire. Le 2 ne fait pas que répéter le 1, il initie un ordre ( 1 puis 2, ...) et instaure une régularité. Certes, cet ordinaire est bien "étrange" et anormal, mais il n'en porte pas moins une forme de quotidienneté : les gestes s'incorporent, les habitudes se cristallisent.

Ce passage de l'exceptionnel à l'ordinaire bouleverse les temporalités. Le premier confinement avait construit un temps, "hors temps", mis en suspension et entre parenthèses entre le fameux "avant" et "après". Or, l'accès fiévreux critique qui a mobilisé toutes les énergies s'est mué en "maladie quasi-chronique" alternant apaisements et rechutes. L'avant s'éloigne dans le passé, l'après se dissout dans un futur qui recule au fur et à mesure que nous avançons. Nous sommes dés lors plongés dans un éternel présent marqué d'une forte pathologie de l'action :

  • Pouvoir d'agir dégradé : Capacités d'action amoindries et vies rétrécies.
  • Interruption récurrente : Le stop and go scande les vies désorientant en permanence l'action soumise à une incertitude radicale.
  • Projection empêchée : Tout projet d'action est soumis à condition, subordonné à "si cela va mieux, si,...". Le temps devient conditionnel et Covid-19, le maître du temps.

2. Du monopole à la concurrence entre les principes. Le confinement 1 était régi par un principe unique d'ordre sanitaire. S'il demeure le leader de la légitimation de l'action, il se voit désormais mis en concurrence par d'autres registres : économique, liberté, jouissance de la vie, etc. Ce qui était accepté et ne prêtait pas à discussion, devient objet de discussion publique comme de négociation personnelle. Tout en étant perpétuellement remis dans le rang par l'évolution de la pandémie ! Le tiraillement psychique perpétuel est énergivore et la frustration, permanente.

3. De la "soudure" aux fissures du collectif. Le confinement 1 a donné lieu à un type d'expérience tout à fait particulier le collectif-UN. Chacun s'est trouvé mobilisé par le surgissement de cet événement quasi transcendant. La sidération et la menace ont favorisé le développement du sentiment puissant d'un lien dépassant nos différences : l'affect communautaire. Il a soudé le collectif formant dès lors la figure d'un seul et unique corps. Même, rester chez soi, parfois sans travailler, était une manière de tenir sa place dans un collectif idéalisé et célébré chaque soir aux fenêtres. Le dé-confinement a mis fin à la soudure laissant apparaître peu à peu de multiples fissures au sein d'un collectif devenu plus problématique.

Les "injustices " ont alors pris le devant de la scène médiatique : Pourquoi les boulangeries et pas les librairies ? Pourquoi les cultes et pas la culture ? Etc. Au sein des organisations territoriales, deux points clefs du processus de fissuration du collectif ont commencé à produire leurs effets conjugués, dès les premiers retours en présentiel.

  • Les règles sanitaires. Masques, distances, gestion des flux, visioconférences, etc., constituent autant d'embûches à l'établissement de relations fluides. En brouillant le répertoire indiciel permettant d'instaurer confiance et attention à autrui, elles assèchent le liant. Sources de brouillage, elles le sont également de tensions et donc "d'embrouilles" continuelles entre ceux qui les respectent et ceux qui ne les respectent pas ou moins.
  • Le retour (du refoulé) : l'hétérogénéité. Ces relations sont d'autant moins fluides, qu'à l'heure heureuse des "retrouvailles" s'est révélée toute l'hétérogénéité ds expériences du confinement 1. Ce qui avait été pensé et vécu comme UN, s'est avéré multiple et hétérogène. Par voie de conséquence, le partage d'expérience spontané qui aurait du donner lieu à une communion et à la célébration collective du devoir accompli n'a pu, bien souvent, opérer et remplir son office. Les rancoeurs de ceux qui estiment avoir donné beaucoup d'eux-mêmes à l'égard de ceux supposés avoir fait défaut, voire s'être "planqués" polluent l'atmosphère. Et ce d'autant plus vivement que la délicate question de la reconnaissance par les organisations sous forme monétaire ou autres se pose.

Ce retour de la différence et le surgissement brutal d'un collectif qui ne va plus de soi suscite déception, voire désillusion. La solidarité qui se construisait autour de l'adaptabilité et des enjeux de continuité du service, tend à se jouer désormais dans les interactions quotidiennes autour du respect des règles sanitaires et des traces du confinement 1 qui remontant à la surface tendent à s'enkyster dans les équipes.

Sans aucun doute, certaines équipes et organisations ont su entretenir la flamme du commencement. Mais nous ne prenons guère de risque à émettre l'hypothèse que la conjugaison de la diminution de la puissance d'agir, de la frustration permanente et de la fragilisation des collectifs nourrit une tendance dépressive significative et minent progressivement un corps social épuisé par l'événement Covid-19.

 

Quelques premières pistes de travail. Tout en ayant pleinement conscience de la difficulté pour les dirigeants comme pour les managers d'avoir à gérer une situation de ce type dans un contexte perpétuellement mouvant et radicalement incertain, nous suggérons néanmoins de :

1. Considérer cette nouvelle situation comme un temps stratégique et non comme un temps strictement opérationnel. Cette longue saison dépressive, éprouvante et usante, marquera sans doute tout autant l'histoire des équipes et des collectivités que la saison 1 du premier confinement. La question stratégique à se poser est alors celle-ci : que puis-je faire de cette situation et de ce qu'elle ouvre comme possible ? Et non seulement, que puis-je faire dans cette situation et des limites qu'elle impose ?

2. Faire parler les affects, partager et analyser. L'expression et la compréhension des affects qui circulent dans les collectifs me semble le préalable à la possibilité d'une gestion pertinente de la situation. Construire une représentation de "ce qui se passe" permet de prendre le recul nécessaire à l'action et d'éviter de se laisser happer par l'ambiance interne (en rajoutant, par exemple de l'agacement à l'irritabilité déjà présente). Dans ce cadre, il est important, autant que possible, de créer des temps entre managers et au sein des équipes afin d'exprimer les ressentis, de les partager, de les analyser, soit, retisser les liens à partir des émotions. (Notons que le fait de leur donner place et droit de cité, c'est déjà faire acte stratégique : initier une évolution culturelle des organisations territoriales cf. point 1).

Les trois propositions suivantes, en tenant de nouer passé, présent et futur, visent à réintroduire une trame de continuité là où dominent pour l'heure, ruptures, hachures, interruptions.

3. Restaurer du familier. En réactivant autant que faire ce peut les micro-rituels du quotidien, les routines et les habitudes du travail mais aussi en prenant appui sur le temps cyclique de l'organisation : préparation budgétaire, entretiens individuels, etc. Le temps a été mis hors de ses gonds et le quotidien, chamboulé. Prendre appui sur le temps long des cycles et des habitudes, c'est redonner de l'armature au temps et une assise aux personnes.

4. Rendre quotidien l'exceptionnel. Il s'agit d'ancrer de manière durable dans le fonctionnement quotidien de l'organisation toutes les pratiques et modes de fonctionnements surgis lors du confinement 1 et jugés comme des avancées pertinentes. Soit, puiser, collectivement, dans tout le potentiel ouvert à l'occasion du choc initial pour l'actualiser et le pérenniser. C'est la clef de voûte de la reconstruction de la continuité et du nouage des temporalités.

La matière à travailler est ici abondante :

  • Télétravail, procédures allégées, processus de validation et de décision accélérés, priorisation accentuée, etc.
  • Nouveaux services créés, modalités de rendu du service repensées, liens de coopération renforcés ou instaurés avec de nouveaux partenaires, etc.
  • Intensification de la communication managériale, forte écoute et disponibilité, réactivité aux questionnements, attention aux situations particulières, confiance accordée aux équipes, aux agents, au terrain dans leur capacité à s'auto-organiser, fonctionnement plus horizontal, etc.

Et les enjeux stratégiques, conséquents :

  • Construire un acquis constituant une trace positive de l'événement : ce ne fut pas un temps et une mobilisation pour rien.
  • Et ainsi, faire la démonstration d'une capacité à se transformer "vraiment" et non simplement de s'adapter ponctuellement de manière réactive.

5. Sur cette base, se projeter, en prenant appui sur le moment "charnière" que constituent le renouvellement du mandat politique pour les communes et intercos ou la fin du mandat pour les départements et les régions. Ce temps institutionnel est propice à la formalisation d'un nouveau cadre de la relation aux élus, à l'établissement de diagnostics, à l'élaboration d'un projet stratégique et managérial, etc.

Loin d'être un temps mort stratégique, cette période constitue donc un moment opportun à même de jeter de premières "ancres" pour le futur. L'après, c'est maintenant !